Photo: Fête honorant Maurice Ravel (au piano), à New York le 8 mars 1928 (il avait eu 53 ans la veille): Oscar Fried, chef d’orchestre; Eva Gauthier, chanteuse; Manoah Leide-Tedesco, compositeur et chef d’orchestre; George Gershwin, compositeur. Photo: Wikimedia Commons
Le dimanche 18 mars 1928, Maurice Ravel arriva à Toronto en provenance de Chicago, au cours d’un long périple qu’il avait entamé depuis le 4 janvier lors de son arrivée à New York.
Cette tournée exceptionnelle le vit donner des concerts dans plus de 25 villes des États-Unis et du Canada, avec, dans ses malles, bouteilles de vin et cartouches de Gauloises. Rappelez-vous, nous sommes en pleine prohibition…
Commandité par Eaton et le Star
Accompagné par la soprano américaine Lisa Roma, son passage à Toronto fut particulièrement remarqué par la presse torontoise. Il faut dire que ce concert exceptionnel avait été annoncé dès octobre 1927 dans le cadre d’une série commanditée par la compagnie T. Eaton et présentée par le Toronto Daily Star et la Hambourg Concert Society.
À son arrivée, Ravel fut accueilli par le professeur Deschamps du département de français à l’Université de Toronto, le docteur Ernest MacMillan, directeur du Conservatoire de Toronto, ainsi que l’agent consulaire français Charles Rochereau de la Sablière.
Le mardi suivant, il visita les chutes du Niagara, espérant y trouver l’inspiration nécessaire pour une nouvelle composition. À la vue des chutes, il se serait exclamé: «Quel majestueux si bémol!»
Avec la soprano Lisa Roma
C’est le jeudi 22 mars que «le plus grand compositeur français vivant» donna son concert à la salle Margaret Eaton, qui se trouvait rue McGill entre Carlton et Dundas près de Yonge. Ravel jouant au piano était accompagné par la soprano Lisa Roma et le Hart House Quartet.
La première partie du concert fut diffusée en direct à partir de 20h30 sur les ondes radio de CFCA, radio torontoise du Toronto Daily Star.
Grâce aux archives en ligne, nous connaissons le programme de la soirée:
- Sonatine pour piano (M.40) – sonate pour piano en trois mouvements dédiée à Cipa et Ida Godebski
- Cinq mélodies populaires grecques (M. 9, 10, 4, 5, 11) – recueil de chants traditionnels grecs harmonisés par Maurice Ravel.
- Quatuor à cordes en fa majeur en quatre mouvements (M.35) dédicacé à Gabriel Fauré.
Nous savons aussi qu’en deuxième partie du concert, sans ordre connu, les pièces suivantes furent jouées:
- Shéhérazade (M.41), cycle de mélodies : Asie, La Flûte enchantée et L’indifférent.
- Pavane pour une infante défunte (M.19) dédiée à la princesse de Polignac.
- Habanera, second mouvement de sa Rapsodie espagnole (M.54)
- Rigaudon, quatrième mouvement du Tombeau de Couperin (M.68)
Public chaleureux
Salle comble, applaudissements chaleureux, rappels: le public torontois fut particulièrement généreux avec le compositeur.
Les critiques en revanche furent partagés: «Agréables teintes musicales en arc en ciel» pour les uns; «Jeu ignorant les émotions, pas surprenant de la part d’un homme qui aurait pu être chimiste ou chirurgien» pour le critique du Evening Telegram, journal concurrent du Daily Star.
C’est le 27 avril suivant que Ravel débarqua au port du Havre suite à cette tournée triomphale. Il ne lui restait plus qu’à écrire… le Boléro!
Maurice Ravel fut, et reste toujours, un des plus grands compositeurs à avoir foulé le sol de Toronto. N’est-il pas temps qu’une plaque commémore ce concert historique?
Il est possible d’écouter le programme intégral de ce concert historique grâce à cette liste Spotify créée pour vous.
Article publié dans l’Express de Toronto le 9 mars 2020 – https://l-express.ca/quand-maurice-ravel-joua-toronto/
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