Pourquoi je m’oppose au projet de déchéance de la nationalité

fauxpasseportLes principes et la raison avant l’émotion

 

Ayant toujours eu pour principe de m’engager par la raison plutôt que par l’émotion, j’ai d’abord décidé d’écouter, d’étudier, lire et échanger avec de nombreux compatriotes de droite, du centre et de la gauche.

 

Naturellement, je comprends l’émoi qu’a pu susciter la vague d’attentats dans le cœur même de mes compatriotes. Cette émotion est réelle, palpable et malheureusement durable. Cette émotion puise dans l’incompréhension de ses actes censés nous ébranler au plus profond de nous. Faut-il donc céder à la peur et s’engager dans des voies dont il sera difficile de s’extirper quand des conséquences imprévues verront le jour ?

 

Scientifique de formation, comme tout bon radical valoisien*, je demande des preuves, j’exige des démonstrations formelles de l’efficacité d’une mesure avant de la soutenir. Après deux semaines de débats, parfois très durs en pleine trêve des confiseurs, il apparaît que cette mesure n’est que purement symbolique.

 

Il y a d’abord ceux qui soutiennent cette mesure. C’est leur droit le plus fondamental dans le cadre d’un débat démocratique. Ils sont nombreux à reconnaître que la portée n’est que symbolique, mais ils soutiennent la proposition présidentielle par principe, idéologie et engagement.

 

Il y a ceux qui s’opposent coûte que coûte, souvent aussi par idéologie mais aussi par leur statut propre de binationaux, comme s’ils se sentaient directement visés par cette proposition qui stigmatise, il est vrai, à nouveau les binationaux, ces « Français pas comme les autres ».

 

Les binationaux : cette obsession politique

 

En effet, les binationaux font régulièrement les frais d’une politique parfois sectaire dans le débat national. Le terme binational évoque très souvent en France et chez de nombreux élus, l’image de Franco-Algériens, Franco-Marocains, Franco-Sénégalais. D’ailleurs le débat de 2011 n’est il pas né d’une controverse autour de … joueurs de foot[1] ?!

 

En 2005[2], première salve : la circulaire n°2005-1726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports, imposait aux citoyens français, nés à l’étranger ou de parents étrangers, de faire « la preuve » de leur nationalité française. Certains Français devaient donc justifier de leur citoyenneté devant une présomption d’usurpation de nationalité. Cette situation fut décriée par de nombreux parlementaires, dont la députée de Saint-Pierre et Miquelon[3] d’alors et aujourd’hui secrétaire d’état à la francophonie et au développement durable.

 

En 2011, les binationaux ont de nouveau été mis sur la sellette quand Claude Goasguen[4], député de la 14e circonscription de Paris, proposa de limiter les droits politiques et de maintenir un registre de binationaux[5]. Rien que ça …

 

Le sujet, notamment la proposition d’interdire la binationalité, ne fut enterré par la déclaration de Jean-François Copé en juin 2011 et la reconnaissance de l’extrême difficulté pratique de telles mesures par Brice Hortefeux[6].

 

En 2015, cela n’a pas empêché Bernard Debré[7], député de Paris, de proposer à nouveau la suppression de la binationalité dans la foulée des attentats de novembre.

 

Mais voilà que les binationaux reviennent sur le devant la scène suite aux actes terroristes de Français nés Français : on veut les déchoir de la citoyenneté s’ils sont reconnus coupables d’acte terroriste.

 

La déchéance : cette boîte de Pandore

 

C’est lors du Congrès extraordinaire qui a suivi les attentats de novembre que le président de la République proposa d’étendre la déchéance de la nationalité aux binationaux nés Français. Lors de son annonce, la mesure n’a provoqué que peu d’émoi, la grande majorité des compatriotes et élus étant encore profondément traumatisés par les événements, c’est après coup que les questions et interrogations ont commencé à fuser.

 

Ainsi, très justement, certains on rappelé que la mesure existe déjà pour les binationaux qui ne sont pas nés Français et qui ont acquis la citoyenneté depuis moins de quinze ans. La meilleure mise en contexte du débat actuel reste l’analyse de Laurent de Boissieu[8] qui souligne justement que : « l’actuel débat n’est en effet pas « pour ou contre la déchéance de nationalité », mais « pour ou contre son égalitarisation, son extension à tous les Français ». »

 

Laurent de Boissieu déblaye le terrain et démontre avec sa clarté habituelle les paramètres raisonnables du débat pour reconnaître comme beaucoup d’autres qu’il s’agit « d’une sanction symbolique, et non il est vrai d’un outil de lutte contre le terrorisme ».

 

La symbolique est pourtant source d’inquiétude, non pas tant sur la mesure de déchéance elle-même, mais sur les conséquences de son usage et d’un effet domino à l’international. Le biologiste anglais Thomas Henry Huxley a très bien résumé la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui : « La plus grande tragédie scientifique découle du fait que la plus belle des théories peut-être détruite par une simple observation ».

 

Il en est de même en politique. La déchéance de la nationalité, summum de l’idéalisme symbolique, se révélera problématique quand nous serons confrontés à des situations imprévues et non moins réelles.

 

A droite, un homme a été courageux dans son opposition à cette mesure, il ne s’agit de nul autre que l’ancien garde des Sceaux, Jacques Toubon[9]. Celui-ci souligne la création de plusieurs niveaux de citoyenneté par cette mesure : il y a ceux qu’on peut déchoir, et les autres.

 

Mais quand l’ancien juge antiterroriste Marc Trévidic[10] s’exprime ouvertement pour déclarer cette proposition inapplicable, il y a matière à s’inquiéter non seulement de l’utilité de cette proposition mais de la tournure du débat lui-même ? « Bienvenue en absurdie » titrait un article d’Emmanuel Berretta dans le Point. Tout est dit.

 

On pourrait se demander si la mesure n’est populaire dans certains milieux que quand les terroristes s’appellent Brahim, Abdelhamid ou Amedy ? Que diront ces mêmes soutiens quand les terroristes s’appelleront Patxi, Imanol et Jean-Michel ou qu’ils seront Franco-Espagnols, Franco-Italiens ou Franco-Allemands ?

 

 


 

[*] Radical valoisien par philosophie, engagé auprès du parti Les Républicains

[1] Les « binationaux », enquête sur ces footballeurs français qui ne jouent pas en bleu En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/sport/article/2011/04/29/ces-footballeurs-francais-qui-ne-jouent-pas-en-bleu_1514553_3242.html

[2] Lettre ouverte à mes élus http://marccormier.org/fr/2010/01/20/lettre-ouverte-a-mes-elus/

[3] Des remous dans l’Hémicycle : Annick GIRARDIN interpelle Brice HORTEFEUX sur les mesures inacceptables de vérification de nationalité française http://annickgirardin.unblog.fr/2010/02/10/des-remous-dans-lhemicycle-le-depute-interpelle-brice-hortefeux-sur-les-mesures-inacceptables-de-verification-de-nationalite-francaise/

[4] Binationalité: Lettre à Claude Goasguen http://marccormier.org/fr/2011/05/09/lettre-ouverte-a-m-claude-goasguen/

[5] Goasguen pour un registre des binationaux http://www.lejdd.fr/Politique/Actualite/Claude-Goasguen-veut-limiter-la-double-nationalite-310959

[6] Binationalité: Copé exclut toute réforme http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2011/06/08/97001-20110608FILWWW00406-cope-refuse-de-revenir-sur-la-binationalite.php?redirect_premium

[7] Bernard Debré veut «supprimer la binationalité» en France http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/citations/2015/12/20/25002-20151220ARTFIG00122-bernard-debre-veut-supprimer-la-binationalite-en-france.php

[8] Déchéance de la nationalité et (in)égalité http://www.ipolitique.fr/archive/2015/12/23/decheance-de-nationalite.html

[9] Jacques Toubon, Défenseur des droits : « La déchéance de nationalité touche aux principes mêmes… http://www.franceinter.fr/video-jacques-toubon-defenseur-des-droits-la-decheance-de-nationalite-touche-aux-principes-memes

[10] Déchéance de nationalité: « inapplicable » pour Trévidic http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2015/12/24/97001-20151224FILWWW00171-decheance-de-nationalite-inoperant-pour-trevidic.php

2 Comments

    • Vrai … mais :

      – Un francais (mononational) ne sera pas dechu (combien de binationaux/mononationaux ?) => egalite devant la justice ?

      – Que fait-on des dechus ? on les juge, les condamne, les emprisonne et les expulse (seulement les binationaux dechus) ? => egalite devant la justice ?

      – est-ce que la mesure de decheance a un impact preventif sur des terrorristes qui sont prets a perdre la vie. Tout le monde s’accorde a dire que non.

      Alors pourquoi inscrire dans la constitution une mesure a l’efficacite preventive douteuse, mais aux consequences certaines en terme de respect d’un des piliers de notre constitution qui est l’egalite des citoyens, y compris devant la justice ?

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