À vrai dire je ne me souviens pas de la musique exacte de cette définition qui résonne encore dans ma tête vingt-cinq ans plus tard. Cette bribe est une clef qui pourrait m’ouvrir, si je le souhaitais, un pan entier du monde des mathématiques. Elle me fut enseignée par un professeur des lycées exceptionnel qui oeuvra à Saint-Pierre et Miquelon dans les années soixante-dix et quatre-vingt.
Monsieur Jacques Vermesse était un puriste et un formaliste : chaque cours était une suite de démonstrations formelles parfaitement organisées. Chaque exercice était rigoureusement structuré en trois parties : l’hypothèse, la démonstration et la conclusion. Nul ne pouvait y déroger et d’aucuns n’auraient osé approcher les mathématiques de première ou de terminale autrement.
Que le pays fut enveloppé de brume épaisse ou que nous essuyâmes la toute dernière tempête de poudrin, la constante de notre quotidien de lycéen était la leçon de mathématiques. Si grève il y avait, par devoir syndical M Vermesse s’y prêtait. On savait alors que le samedi matin serait sacrifié pour rattraper l’asymptote oblique ou l’intégration par parties.
Un bruit courrait parmi les lycéens : il n’y avait que la philosophie qui pouvait engendrer une divagation intellectuelle au-delà des champs vectoriels. Je n’ai jamais eu cette chance, cette matière m’ayant été enseignée par un satyre pataud hirsute. Qu’importe, sachant que la philosophie était placée au-dessus des mathématiques par M Vermesse suffisait à nous inspirer la sagesse.
Mais il y avait aussi de l’humour ! Quand un élève précipité proposa « d’éliminer une variable », M Vermesse singea l’usage d’une mitraillette contre un X mal-aimé. Il adorait nous dire qu’il « radotait », en fait il ne faisait que renforcer. Pour une raison que j’ignore, je me souviens qu’il admirait plus que tout autres les mathématiciens Hongrois.
Je n’oublierai jamais ces tableaux d’ardoise verte, ces vestons carrés qui n’avait que pour seule impureté la poussière de craie, ces fiches de carton bristol et un sac qui hébergeait un temps nos copies corrigées.
Je dois à M Vermesse l’amour du formalisme, de l’idée platonicienne, de la vérité cohérente et des mathématiques pures. Je reconnais aussi que ce type d’enseignement, s’il est considéré révolu, s’il n’a plus bonne presse, a une valeur intrinsèque : c’est un enseignement qui porte l’esprit bien au-delà des facilités. M Vermesse fut notre Euclide, notre Thalès, notre Pythagore, notre Charles W. Kingsfield, Jr. voire notre Bourbaki.
Monsieur Vermesse était un personnage hors norme, dans la rigueur et son épouse son pendant dans la la fantaisie. Il a fait deux séjours au lycée de St-Pierre , le deuxième en retraite pour sortir l’établissement d’un mauvais pas, suite à la défaillance du titulaire.
Tout à son art des mathématiques , monsieur Vemesse affichait une grande distance avec les choses pratiques de la vie. Son épouse étant Roumaine, il avait une Mercedes pour se rendre dans la famille de son épouse pendant les vacances. Il prenait la peine de ramener à chaque rentrée son véhicule à SPM, alors qu’il ne l’utilisait jamais chez nous. Puis le réexpédiait au printemps.
Merci Marc pour ce très bel hommage à Jacques Vermesse qui le mérite bien ! Personnellement, je l’ai beaucoup apprécié en tant que collègue.